"Personne ne veut cacher son sourire"
Le Dr Frank Bröseler réalise des traitements parodontaux régénératifs depuis 20 ans avec une grande réussite et étudie ce qui compte vraiment pour les patients. Nous lui avons parlé d'objectifs, d'attentes et du meilleur moment pour remotiver les patients
Dr Bröseler, vous avez publié une étude rétrospective sur le traitement parodontal régénéra-tifs chez une large population de patients au quotidien1. Que recherchiez-vous ?
Dr Bröseler : Nous voulions savoir s'il était possible de confirmer les très bons résultats d'études prospectives bien connues2,3 dans un environnement de soins normal. Dans les études prospec-tives, des patients sélectionnés sont trai-tés - patients sans problèmes de santé majeurs, adhérant bien au traitement, non-fumeurs, etc. Mais quelle est la réussite d'un traitement lorsqu'on traite Pierre, Paul ou Jacques ? Par exemple, les patients qui souffrent de diabète ou ont une hygiène bucco-dentaire imparfaite ?
Et qu'avez-vous trouvé ?
Nous avons analysé 1 008 dents chez 176 patients sur dix ans. Tous les pa-tients ont été traités selon notre algo-rithme décisionnel standard (Fig. 1). Malgré la diversité des troubles dans une population de patients normale, nous avons obtenu la même réussite du traitement que dans les études prospectives. Le comblement osseux à la radiographie était de 3,8 mm à un an et il est resté stable sur une période al-lant jusqu'à dix ans. Vous pourriez com-parer cela au gain osseux obtenu avec le débridement avec lambeau ouvert seul qui est d'environ 0,95 mm4. Un gain os-seux plus important a été obtenu dans les défauts profonds, et les profondeurs de sondage étaient significativement ré-duites, restant faibles tout au long de la période d'observation.
Certains chirurgiens jugent le traitement parodontal régénératif trop imprévisible. Êtes-vous d'accord ?
Pas du tout. Notre expérience quotidienne et les études cliniques montrent le contraire. Mais il faut avoir les bonnes bases pour le réaliser. Les jeunes praticiens manquent souvent d'une formation chirurgicale adaptée et doivent impérativement se mettre à niveau avec un apprentissage supplémentaire. Cela est astreignant pour les débutants, mais rien ne fonctionne sans une bonne formation.
Vous avez également étudié la manière dont les patients perçoivent le résultat du traitement parodontal5. Quel facteur était le plus important pour leur satisfaction ?
Il est important de garder à l'esprit que les patients viennent nous voir parce qu'ils ont des soucis tels que des gencives qui saignent, un goût désagréable dans la bouche ou des dents mobiles. Ils ne nous demandent jamais de « combler leurs défauts osseux ». Ils veulent retrouver une bouche saine. Si cela est inévitable, ils acceptent les petites imperfections, comme par exemple en matière d'esthétique, qui peut parfois ne pas être totalement obtenue.
L'esthétique n'est donc pas la principale préoccupation ?
Non. Mais, selon les patients, le résultat esthétique peut tout de même être très important. Tout le monde veut pouvoir rire sans inquiétude. Personne ne veut avoir à cacher son sourire avec sa main.
Et nous pouvons parvenir à un bon résul-tat esthétique avec la chirurgie parodon-tale régénérative.
Ou, disons plutôt que la parodontie régénérative est le premier pas vers un très bon résultat esthétique. En effet, en cas d'exigences esthétiques élevées, d'autres traitements tels que la chirurgie plastique des tissus mous ou l'orthodontie seront probablement nécessaires.
Dans votre article, les patients étaient plus satisfaits après le traitement régénératif qu'après le détartrage et le surfaçage radi-culaire ou le débridement avec lambeau ouvert5. Pourquoi ?
Ils avaient le sentiment que le traitement régénératif avait été très efficace, malgré leur situation initiale très compliquée.
Le détartrage-surfaçage radiculaire (DSR) est plus facile à réaliser mais les récidives sont plus fréquentes qu'avec un traitement régénératif. Le débridement avec lambeau, quant à lui, entraîne des récessions gingivales. Les conséquences sont une hypersensibilité dentinaire, une moins bonne esthétique et une hygiène bucco-dentaire plus défaillante - tout cela peut causer l'insatisfaction des patients.
Les patients doivent faire preuve d'un haut niveau de compliance pendant de nombreuses années. Y a-t-il un moment crucial où
la motivation diminue et où les patients doivent impérativement être remotivés ?
Au bout d'environ trois ans, le processus de régénération est achevé et un nouveau statu quo est atteint. Il y a ensuite le risque que les patients deviennent trop confiants et trop optimistes, et donc moins rigoureux en matière d'hygiène bucco-dentaire. Nous devons leur rappeler que la parodontite est une maladie chronique exigeant un haut degré de compliance et une très bonne hygiène bucco-dentaire à vie.
Quelles mesures spécifiques prenez-vous pour remotiver les patients ?
Au bout de cinq ans, nous faisons une évaluation radiologique et en discutons longuement avec les patients. Nous discutons du pronostic de toutes leurs dents et l'illustrons en rouge, jaune et vert. Nous soulignons ce qui a été obtenu mais partageons également les articles scientifiques sur les taux de récidive et insistons : « vous ne pouvez pas abandonner maintenant ».
Les patients se soucient-ils de préserver leurs dents ?
Pour la plupart, oui. Les dents naturelles présentent de nombreux avantages. Il est plus facile de mastiquer avec des dents naturelles et elles sont moins sensibles aux infections que les implants.
Les messages publicitaires sur les implants sont très positifs, et certains patients pensent que les implants durent toujours. Mais le pronostic de survie d'un implant est de seulement 12 ans6. Nous pouvons préserver les dents naturelles des patients aussi longtemps, voire probablement plus longtemps pour la plupart.
Bien que le traitement parodontal régénératif puisse être complexe, il reste toujours plus économique qu'un implant.
Les patients suivent-ils vos recommandations ?
Habituellement, oui. Si une procédure est financièrement impossible, vous devez re-voir vos objectifs à la baisse. Nous allons privilégier la santé bucco-dentaire à l'esthétique, par exemple.
Aux patients ayant de très grandes exi-gences, nous proposons un traitement orthodontique après le traitement pa-rodontal, car les maladies parodontales s'accompagnent souvent d'un déplace-ment des dents. Le meilleur moyen de prévenir la récidive est de restaurer la position des dents et l'anatomie naturelle, y compris celle des papilles. Lorsque les papilles sont intactes, la plaque atteindra plus difficilement les tissus parodontaux. Les résultats sont spectaculaires mais, compte tenu du temps et du traitement nécessaires, cela est beaucoup plus coûteux.
Votre algorithme décisionnel thérapeutique personnel repose non seulement sur des données scientifiques mais également sur le coût. Depuis combien de temps travaillez-vous avec cet algorithme ?
L'algorithme est le même depuis de nombreuses années. Je planifie le traitement en fonction de critères médicaux exclusivement et la tarification repose sur cela. Je n'ai jamais travaillé pour le profit. Le profit découle plutôt du fait qu'un patient très satisfait recommande notre cabinet à d'autres.
Références
- Bröseler F, et al.: J Clin Periodontol 2017; 44 : 520-9. (clinical study)
- Cortelini P & Tonetti MS.: Periodontol 2000 2015; 68(1): 282-307. (systematic review)
- Sculean A, et al.: Periodontol 2000 2015; 68(1): 182-216. (systematic review)
- Graziani F, et al.: J Clin Periodontol 2012; 39(2): 145-56. (systematic review)
- Franke M, et al.: Oral Health Prev Dent 2015; 13: 163-8. (clinical study)
- Derks J, et al.: J Dent Res 2016; 95(1): 43-9. (clinical study)